Anne-Bénédicte Joly

Écrivain

J'aime ou j'aime pas... - Année 2007

J'aime ou j'aime pas...
Mois J'aime... J'aime pas...
Décembre Imaginer que l'oubli est la parole la plus entendue. Qu'un Post-it se rappelle à moi en me soulignant la chose à ne pas oublier parce que je ne suis plus libre de rien et l'écrit rattrape ma pensée alors que d'ordinaire c'est la démarche inverse qui me guide.
Que l'on me croit telle que mon image me véhicule. Etre enfermée dans mes doutes et oublier de me servir du véhicule de l'apparence mis à ma disposition.
Taire, faire et broder du silence avec mes doigts d'encre. Faire face à mon alter ego et être obliger de me laver les mains.
Etancher, sans m'épancher. Manquer d'étanchéité et malmener mon trop plein de sensibilité.
Respirer sans épée de Damoclès. Qu'on m'empêche de respirer alors qu'il y a de l'air tout autour de moi.
Faire face à mon purgatoire ; état intermédiaire entre le sommeil et le réveil. Caresser l'idée d'un paradis qui est, et ne serait, que virtuel !
Novembre Assortir mes tenues aux saisons et aux couleurs avoisinantes. Qu'on le remarque qu'on le gratifie d'un : "Tiens voilà le printemps !".
Le devenir du présent. La fixité de l'avenir.
Evoquer le futur parfois proche. Le passé composé et ses tonalités de regrets.
Ecouter l'autre jusqu'à plus soif. Que l'on m'oblige à me désaltérer lorsque je n'ai pas soif.
Tarder sans pour autant m'attarder. Etre retardée dans ce que je tarde à formuler.
Déboussoler, désarçonner, étonner... Perdre mon mords, ou encore que l'on braque un regard sur moi jusqu'à ce que je devienne passe-muraille...
Octobre Monter en haut avec un clin d'oeil au pléonasme. La descente aux enfers empreinte à Orphée.
Me dire qu'il n'est jamais trop tard. Tarder à souhaiter les meilleurs choses aux gens que j'aime de peur qu'ils ne m'aiment plus.
Tarder à croire de façon définitive et péremptoire. Mettre des mois à franchir le cap du doute pour appuyer mes arguments.
Dire : écris-moi sans faute. Recevoir en retour une lettre avec la mention "N'habite pas à l'adresse indiquée".
Les odeurs musicales. Les mots sans couleur et fiers de l'être.
Entendre résonner le bruit des sabots d'un cheval. Que résonnent en moi les sabots ferrés du passé qu'un cheval aimé me rappelle.
Septembre Me dire les choses avant de les écrire. Oser les écrire directement au propre et prendre le risque de regretter le passage, réconfortant, par le brouillon.
Entendre rire des enfants dans une cour de récréation. Les imaginer rire, seuls, sans spectateurs.
Autant écrire les sentiments que de les murmurer dans une oreille amie. Dire à voix haute le même texte qu'à voie basse.
Eclater de rire face à une situation désopilante au risque, parfois, de paraître impolie. Contenir de la joie sous prétexte qu'il faut bien se comporter.
Les faits. Les situations qui les atténuent.
Les mystères. Les fausses pistes.
Août Donner à croire. Croire avoir donné à quelqu'un qui a depuis longtemps (toujours ?) tout pris.
Etirer ma langueur d'état d'âme en contemplant la manche se retirer. Voir des vagues envahir le plat pays et n'avoir que la langueur comme pâle souvenir.
Courir entre les gouttes lorsqu'elles ne forment pas un océan tumultueux. Devoir éponger une vallée de larmes qui déborde de mon mouchoir.
Avoir des réserves. Surtout. Sur tout. Tomber, ni en panne sèche, ni en panne d'encre.
Juillet Me savonner les mains pleines d'encre. Constater que la mousse du savon ne soit pas bleuie par l'encre des mots.
Provoquer des trous de mémoires délibérés. Que s'installe en moi un doute mémorable qui me fige face à une page blanche.
Sentir un morceau de sucre fondre et devenir un lac de douceur. Que ce même lac se produise sans que j'ai ressenti le stade de l'éparpillement.
Imaginer que le chef d'orchestre a le même rôle qu'un écrivain. Croire qu' un écrivain se prend pour un chef d'orchestre confondant ainsi la gamme et la phrase ; tout correspond sans aucun doute mais c'est au lecteur seul d'établir cette correspondance.
Que les mots sonnent juste. Qu'une note reste creuse en dehors de son sens.
Le oisif lorsqu'il produit de la réflexion de son ennui. La trop sérieuse et consciencieuse réflexion qui se prend pour ce qu'elle n'est pas.
Juin Etablir des rapports et des analogies. Un monde sans correspondance, ni écho qu'aucun lien ne file, ni ne tisse pour personne.
Aimer tout simplement. La forme simple du verbe aimer non conjugué aux temps composés.
L'harmonie des gammes sous couvert d'arpèges édictés à l'unisson. La discontinuité des mots perdus dans une page sans nuage ni cohérence musicale.
Les mots autant que les délices sucrés. Devoir me réfréner d'en déguster quand le bon mot échappe au bon vouloir de mon stylo.
Me contraindre à remplir les pages de petits signes noirs et distincts. Les voir s'éparpiller et, parfois, se dissimuler sous des formes auxquelles je n'avais pas pris le temps de songer.
Voir arriver la fin d'une histoire. Le prévisible, car il est souvent synonyme de fugace.
Mai Ecrire dans le silence de mon espace. Devoir m'extraire du bruit pour conquérir un espace instable.
Lorsque l'encre trace mes élans. Avoir des élancements dans la main et tomber en panne sèche.
Le noir pour l'écriture quotidienne des narrations et des descriptions. Manquer de rouge quand j'aborde les dialogues.
L'illusion et le vouloir croire. Vouloir croire à ce que tout le monde s'accord à voir.
Lorsqu'un joueur distribue des cartes rouges et noires. Oublier que les valets existent et que je fais, sans aucun doute, partie de leur jeu.
Avril Aimer fort ce que je décide d'aimer fort. Que ce que j'aime fort se retourne vers moi et se mette à m'aimer autant.
Quand le froid gagne les collines et que la température de l'air est menacée. Initier un échange quand il fait un soleil radieux et que toutes les conditions sont réunies pour que l'apparence et le superficiel traînent gratuitement.
Ecrire et créer. Qu'en retour, les personnages se jouent de moi et fassent de moi leur personnage.
Avoir en tête l'illusion d'être à l'origine de l'histoire. Une fois en pleine mer ne plus apercevoir ma terre d'origine et en faire toute une histoire...
Me concentrer sur le sens figuré des mots. Les odeurs de propre qui contaminent mes figures au point de les dominer complètement.
Mars Avoir la tête dans les nuages quand j'écris. Etre obligée de retomber les pieds sur terre avant d'avoir pu terminer un paragraphe décisif.
Oublier quand cela m'arrange. Devoir penser à mes oublis au jour le jour.
Enfiler des gants lorsqu'il fait froid (ou pour travailler). Cette sensation d'avoir les mains recouvertes d'une autre peau.
La rondeur des sentiments. La platitude des idées reçues.
Reconnaître ne pas savoir. Que l'on ne sache pas reconnaître le savoir des autres.
Guider et laisser mon corps ondoyer au rythme de la musique. Quand les pianistes abusent de la sourdine.
Février Vernir les surfaces planes de mes ongles. Avoir oublié le dissolvant en cas de débordement.
Me dégourdir les jambes avant une attente trop longue. Solliciter mes forces sans la perspective de l'obstacle à franchir.
Assortir les rayures et les matières. Les pois et le poids du choix qu'ils m'imposent.
Apprendre à me passer des choses. Passer à travers les choses sans en retirer la substantifique moelle.
Compter jusqu'à trois. Arriver à trois sans avoir eu le temps de goûter aux deux autres.
L'oubli. Son souvenir.
Janvier Hésiter devant une alternative essentielle. En faire de même pour des choses dérisoires.
Démarrer Caler.
Oublier les bonnes choses. Etre rattrapée par les mauvaises...
Penser que le temps des voeux est celui des choix. Avoir choisi des voeux trop accessibles ni avoir fait de mauvais choix.
Dire aux autres ce que je leur souhaite. Me projeter et faire miens les voeux adressés à autrui.
La bonne année parce que je m'efforce de ne voir que les bonnes choses. La bonne année quand la précédente a été moins bonne et que le pronostic est couru d'avance.
Croire que les voeux sont à l'image de l'arbre de vie que mon imaginaire a façonné. Imaginer mon arbre de vie devenir celui de tout le monde.
En somme toutes les années du moment qu'elles s'enchaînent et forment un collier de sens. Devoir y penser et ne récolter que deux perles de ce collier imaginaire.