Anne-Bénédicte Joly

Écrivain

J'aime ou j'aime pas... - Année 2005

J'aime ou j'aime pas...
Mois J'aime... J'aime pas...
Décembre Me rappeler les mots écorchés par mes enfants pour que résonne en moi le charme d'hier. Avoir oublié de noter la date sur certains de leurs premiers dessins.
Dire je t'aime sans raison. Ne pas entendre un dernier "Je t'aime" avant de dormir.
Novembre Regarder mon chat dans les yeux et le contempler béatement. Quand mon chat fait ses griffes sur mon grand tapis en laine.
Le miel dans le lait chaud qui colle à la cuiller. Avoir les mains collantes et devoir fouiller dans mon sac à la recherche de mes clefs.
Octobre La neige qui tombe et qui atténue les bruits habituels, le vent qui chante et fait ployer les arbres, bruisser les feuilles et détruit mon brushing. Pas sortir de chez le coiffeur toute laquée, me sentant figée et un peu raide.
Septembre Ce jeu amoureux qui consiste à attendre que l'autre ait raccroché, cette délicieuse façon de prolonger l'échange. Le lundi matin quand le week-end appartient déjà au passé.
Aout Eternuer toujours trois fois, épiler mon sourcil à la perfection et traquer le cil qui empêche la fermeture de l'oeil. Que l'on me force à faire quelque chose alors que j'allais ouvrir un livre, des bruits de pas dans un parking désert, l'haleine chargée d'un voisin essoufflé.
Le froissement en général, celui du papier, des ailes d'un oiseau ou d'une étoffe lors d'une marche, en particulier. Le bruit d'un moustique toute la nuit autour de mon oreille, ni celui du grillon qui s'arrête lorsque l'on s'approche.
Juillet Entendre la cloche sonner et compter l'heure qu'il est. Les cloches qui sonnent lors d'une cérémonie d'enterrement.
Les petits riens dont j'oublie le tout. Le tout des petits riens.
Les lieux qui me parlent et me chantent. Du tout qu'on me souligne la voix avec désenchantement.
Juin Au-delà de tout savoir apprécier les restes. Que l'on m'oblige à consommer autrement.
Cohabiter et prononcer des malentendus. Subir leur poids et leur lot de banalités pré mâchées.
Les murmures, les mélodies à la clé de l'harmonie. L'anarchie rythmique qui menace de me faire perdre le fil.
Mai Parler de mon écrit après. Parler de mon écrit pendant.
Prononcer des mots insensés lorsque je les ai mûris. Carrément pas faire face aux propos insensés, voire blessants, des autres.
La marge largement dépassée par mon attitude. Respecter celle des écoliers au pied de la lettre.
Avril Cultiver l'égoïsme de ma plume. Lorsque les êtres manquent de diligence.
Voir un aquarium dans un café de bord de mer au bord de l'océan déchaîné. Du tout surprendre chez les autres une once de mon senti.
Taire les évidences. Du tout les parler.
Mars Les écrire. Me contenter de leur oralité.
Les certitudes que je m'impose. Celles des autres dont je dispose.
Poser l'oeil là où personne ne le pose. Que l'ophtalmologiste me parle de chiffres.
Entrevoir, ébaucher, entretenir... Du tout fixer, former, fuir...
Février Décliner la subtilité au diapason de la psychologie. Me contenter de réciter les déclinaisons latines hors du contexte.
Favoriser le concours des occurrences. Subir le concours des autres sans que je leur demande.
Le thé brûlant et sa suée immédiate. Avoir les mains moites et glacer la main de l'autre.
Janvier Le sable fin des étendues horizontales. Du tout le petit grain qui s'interpose entre mon oeil et ma lentille.
Voir les déferlantes et leur cohorte d'écume. M'imaginer dedans, ni ceux que j'aime.
Laisser venir l'orage et sentir sur mon visage les premières gouttes. Souffrir du froid et peut-être regretter ma témérité.