Je rêvais d'être chef d'orchestre et je le suis devenu à ma manière. Je ne me suis jamais produit salle Gaveau ou à Bastille mais j'ai assidûment fréquenté le Bataclan me permettant d'ajuster mes pas de deux et de vérifier si mon sens inné du rythme convenait à ma vocation précoce.
- Je veux en faire mon business, lançai-je à mes parents le jour de mes dix-sept ans.
- Bordel Jeannine ! Ton fils a de drôles d'idées.
La dite Jeannine, c'est à dire ma mère, laissa couler et arbora avec fierté un air satisfait en s'imaginant sillonner le monde à mes côtés dans des tenues baroques, quasi mondaines, un bleuet dans les cheveux prête, à recevoir mille baisers de mes admirateurs. Après tout, c'était elle ma génitrice, elle était donc à la genèse de mon talent. Loin était le temps où elle nous poussait avec ma soeur sur la balançoire de notre maison de campagne et qu'elle nous chantonnait Cosi fan tutte ou Les trompettes de la renommée quand le bourdon ne l'accablait pas trop. Quand elle me voyait perché dans le noisetier de la propriété un bâtonnet en main, elle m'imaginait scandant les notes de musique avec un orchestre de renommée mondiale, guettant par la suite avec jubilation l'émoi certain du public.Je sais tout cela d'elle puisque je l'ai imaginé maintes et maintes fois. Je ne suis que le chef d'orchestre de ma petite vie et lorsque le ballon de baudruche de mes aspirations musicales a volé en éclat le jour de mes vingt ans, je me suis résigné à devenir jardinier comme mon père se l'était toujours imaginé.