Anne-Bénédicte Joly

Écrivain

Voyages spatio-temporaires - Extrait

Été 1788

- Reviens le chien ! Tout de suite !
Louis, essoufflé et le visage cramoisi, assistait, effaré, à une scène peu commune : une oie complètement hirsute poursuivait sauvagement son lévrier tout apeuré. Contrairement à son habitude, Louis décida d'intervenir et ramassa une pierre qu'il lança violemment vers l'oie.
- Non mais cela ne va pas ? Pour qui te prends-tu ? s'insurgea Adélaïde.
- Je ne vous permets pas de me tutoyer !
Louis, perplexe à la vue de cette fille de ferme mal coiffée aux habits négligés et aux sabots crottés, prit un air hautain et récupéra son chien encore sous le choc de cette altercation. Il tourna les talons et en se retournant, il croisa le regard de son père qui venait à sa rencontre.
Pour la première fois, il y surprit de la tristesse mêlée à une certaine pudeur :
- Un peu de tenue, fils !
Louis sortit immédiatement son mouchoir brodé et s'épongea le front puis il réajusta le col de sa chemise et se redressa.
- Viens mon garçon. J'ai à te parler.
Ils firent quelques pas en silence puis le père reprit.
- Vois-tu, ta mère et moi sommes contraints de...
Il laissa à nouveau le silence s'installer. Louis, attentif, guettait la suite.
- Voilà. Nous sommes dans l'obligation de partir en voyage.
- En voyage ? Mais où père ?
- Je précise : seule ta mère et moi allons partir...
- Où vais-je aller ? s'enquit Louis de plus en plus intrigué par cette prise de décision hâtive.
- Nous avons décidé pour ta sécurité de te laisser entre les mains de braves paysans.
Perplexe, il ralentit le pas. Il n'en croyait pas ses oreilles ! Son père ne lui laissa pas le temps de beaucoup s'interroger.
- A présent suis-moi, veux-tu. Je vais te les présenter.
Louis, sans aucune résistance ni aucun enthousiasme d'ailleurs, suivit son père docilement. Ils montèrent tous les deux dans une calèche et le père ordonna au cocher.
- Menez-nous à Cachan !
D'un coup de fouet, le cocher fit démarrer la calèche. Quelques instants plus tard, elle avait quitté les pavés du grand boulevard de la Reine. Le temps de traverser Bourg-la-Reine, ils finirent par s'engager sur un étroit sentier caillouteux et arrivèrent à destination, tant bien que mal, malgré les soubresauts du véhicule qui les faisaient tressaillir.
La calèche fit halte devant une vieille masure. Louis en descendit et se retrouva nez à nez avec un étrange animal : tout blanc, tacheté de noir, avec au sommet de son crâne une paire de cornes...
- Meuuuhh !
Louis, apeuré, fit quelques pas en arrière.
- Mais... Qu'est-ce père ?

[...]